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De Daniel Snicket à Lemony Handler
3 janvier 2013

Passages Préférés des Désastreuses Aventures (09/13) : The Literal Cliffhanger

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Il y a deux types de communautés de fans : les "champignons" et les "arbres." Les champignons concernent généralement un  sujet très populaire, et surtout populaire de manière très rapide au point où la majeure partie de la communauté s'installe  sur la Toile plus ou moins en même temps. Divers sites essèment sur le modèle de spores ; leur nombre est proportionnel à  l'engouement progressif du public. Les arbres, eux, s'articulent autour d'un sujet moyennement populaire et dont le  rassemblement des fans prend un certain temps, parfois jusqu'à plusieurs années ; ces communautés partent toujours  principalement d'un seul grand site car les fans sont trop peu nombreux pour se permettre de s'éparpiller. Les nouveaux sites  peuvent donc être considérés comme les nouvelles "branches" du site originel et leur mortalité est supérieure à celle du  tronc. Plus encore, du fait de cette dynamique sociale très identifiable, les fans tendent à entretenir les uns avec les  autres des rapports d'appartenance beaucoup plus intenses et extrêmement personnels - pour le meilleur comme pour le pire.

La communauté de fans des Désastreuses Aventures, à tout le moins, appartient résolumment à cette seconde catégorie. De  l'autre côté de la Manche et de l'Atlantique, la fondation du fandom correspond précisément à la sortie en librairie de  l'Autobiographie non-Autorisée, publiée entre celles des Tomes VIII et IX respectivement (Tomes XI et XII pour nous). Snicket  venait de donner à son univers un domaine d'extension insoupçonnable, qui nourrissait les interrogations plus folles. Le fait  qu'il s'agisse d'un hors-série non prévu était caractéristique de l'impression qui ressort des tomes de l'époque : une série  qui bascule d'un genre à un autre, qui casse ses propres codes, qui annonce quelque chose de plus grand et plus terrible que  tout ce que l'on aVait pu imaginer. A partir de là ont germé deux-trois sites consacrés aux théories d'amateurs et  spécialistes de la série (la Michael Cuellar FAQ, The Lemony Site, etc) et plusieurs forums de discussion anglophones ont  suivi (principalement le feu The Quiet World et le 667 Dark Avenue, qui a néanmoins changé d'adresse depuis l'agonie de  Geocities). On dira ce que l'on voudra quant à la pertinence réelle de la mythologie VDC, mais c'est bien elle qui a  transformé cette série de livres en phénomène international.

Pour ce qui est des sites francophones, le phénomène est exactement le même : c'est véritablement l'obsession des théories et  des conspirations sur l'intrigue VDC qui a soudé les fans. Pour autant, l'Autobiographie n'étant sortie que beaucoup plus  tard, la fondation de cette partie du fandom a logiquement une autre origine. A la réflexion, elle ne pouvait nécessairement  avoir que celle-là.

Nous parlons bien entendu ici de la conclusion impromptue et terrifiante du neuvième tome de la série, qu'on cite  généralement comme le meilleur rebondissement tous tomes confondus. Les lecteurs français, pris d'un suspense insoutenable  quant au sort des trois orphelins et déjà fort tracassés par les nombreux mystères disséminés dans les neuf tomes précédents,  furent soumis à une attente proprement insupportable. Les tomes s'épaississant, les délais de traduction s'étaient allongés  et Nathan envisageait désormais des parutions annuelles, calquées sur le modèle américain afin de fidéliser son public.  Attendre la parution française du Tome X se révélaparticulièrement dur pour les fans, ce fut d'ailleurs le premier tome  français à comporter un court extrait du tome suivant en guise d'amuse-gueule. Pour lutter contre cette crise de manque, deux  solutions s'offraient : se jeter sur les versions anglaises déjà parues ou bien se regrouper entre drogués pour échanger. En  définitive, les deux méthodes furent régulièrement combinées... A l'époque, la possession d'un chapitre du Tome X traduit  illégalement donnait lieu à de véritables foires d'empoigne. Il y a véritablement eu une explosion de sociabilité sur ce  court laps de temps ; d'un seul coup, les lecteurs français sortaient de l'ombre. Rétrospectivement, le fandom s'est organisé  (et déchiré !) avec une rapidité et une richesse impressionnantes en si peu de temps. Comparativement, l'attente du dernier  tome a été beaucoup plus calme, alors qu'il était bien plus médiatique !

[Afin d'être objectif il faut évidemment mentionner de plus la sortie de l'adaptatation cinématographique fin 2004, qui  explique cet engouement soudain. Néanmoins on peut plutôt parler ici d'un cataliste, d'un prétexte ; les discussions de  l'époque partaient souvent du film, il est vrai, mais en définitive ce n'était qu'un point très mineur dans de longues  conversations bel et bien centrées sur les livres. Pour être même plus juste, c'était la façon dont le film tentait de  complèter/commenter habilement la mythologie des livres qui faisait son intérêt principal... Pas son contenu ou même sa  qualité en temps qu'adaptation. En règle générale la sortie d'une adaptation cinématographique change rarement les choses  pour un fandom en terme de démographie : s'il est conséquent et en expansion, elle ne fait que le grossir légèrement, s'il  est relativement réduit, il tend à le rester.]

Quaking-kids

J'essaye de me remémorrer l'ambiance de l'époque, durant cette courte période d'expectitude, avant ma lecture du tome X en  anglais mais après ma découverte sur la Toile de la présence de fans français. Avions-nous réellement et sincèrement peur  pour la vie de Klaus et Violette ? Il était évidemment difficile d'ignorer la présence des tomes X et XI en anglais, dont les  seules couvertures suffisaient à répondre à nos interrogations. Néanmoins, le choc psychologique était réel. Les Orphelins  Baudelaire allaient survivre, nous en étions au fond de nous certains dès la seconde où nous avions refermé le Tome IX, mais  c'était uniquement, nous le savions, pour qu'ils souffrent encore plus longtemps. Avec cette conclusion explosive, nous  étions désormais convaincus (avec raison) que les Désastreuses Aventures n'étaient pas un récit d'aventures à proprement  parler, c'était en vérité la chronique d'une lente agonie ; restait à déterminer l'agonie de quoi. Et, une fois rendus a  fatidique Tome XIII, rien n'irait plus, tout deviendrait possible en terme d'horreur.

Avant la sortie des Reliques de la Mort, les fans de Harry Potter raisonnaient que Harry n'y mourrait pas pour la bonne  raison que la série ne virerait jamais aussi sombre et déprimante. Avant la sortie de La Fin, les fans des Désastreuses  Aventures raisonnaient que les Orphelins Baudelaire ne mourraient pas parce que Daniel Handler nous concoctait sûrement  quelque chose de plus créatif.

Ce qui est fascinant dans l'ambiance des Désastreuses Aventures c'est que Daniel Handler parvient à introduire un sentiment  de totale imprévisibilité au sein d'une série qui est pourtant caractérisée par la répétition des schémas narratifs, une  impression d'innocence violée dans un monde pseudo-enfantin où les risques sont pourtant clairement limités (pas de flingues,  pas de sexe, pas de gros mots, etc), une angoisse indéterminée où l'on est jamais sûr des nouvelles formes que prendra  l'horreur alors même qu'il gâche sans vergogne l'effet de surprise de ses dénouements en les dévoilant au début des tomes. On  peut difficilement expliquer un tel tour de force sans crier au génie.

A l'époque le service de promotion anglophone avait joué sur cette ambivalence en alimentant les craintes des fans envers  Klaus et Violette ; en anticipation du Tome X étaient distribuées des lettres codées formant le message "two will disappear  and never be seen again." "Deux personnes disparaîtront pour ne jamais être revues." Les fans de l'époque, eux, s'entre- déchiraient réellement pour déterminer l'identité de ces deux personnes : Klaus et Violette, Duncan et Isadora, ou les Femmes  Poudrées ? Les attachés au marketing durent faire preuve de plus de créativité pour la sortie des trois tomes suivants ;  leurs fins plaçaient certes les orphelins dans des retournements de situation intéressants, mais rien qui justifiât à soi  seul la promotion du tome suivant. Les dernières lignes du Tome IX, ce furent nos "Noces Pourpres," comme diraient les  amateurs du Trône de Fer (que nous saluons au passage). Toute série d'exception a ses "Noces Pourpres."

Handler se montre souvent étonné de l'engouement que suscite tel ou tel passage ou aspect des Désastreuses Aventures, mais  j'ose croire qu'il savait ce qu'il faisait à ce moment précis. Sinon, pourquoi avoir jeté Violette et Klaus du haut d'une  falaise ? Le concept de fin d'épisode à rebondissement se dit "cliff-hanger" en anglais, littéralement "ce qui se raccroche  au bord d'une falaise" ; l'origine du terme est mal connue, mais on imagine facilement qu'il s'agit d'un hommage aux séries  d'action projetées dans les cinémas muets, où le protagoniste se retrouve dans le pétrin à chaque fin d'épisode (par exemple,  agrippé au bord d'une falaise abrupte) pour ne s'en sortir qu'au suivant. Connaissant la nature méta-fictive des Désastreuses  Aventures et leur tendance à illustrer des concepts littéraires et culturels de manière littérale (penser à l'expression "la  justice est aveugle" dans le tome XII), je doute qu'il s'agisse d'un hasard : le meilleur cliff-hanger de la série est  réellement un balancement dans le vide du haut des falaises à pic des Monts Mainmorte !

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Commentaires
De Daniel Snicket à Lemony Handler
  • Correspondant irrégulier, le Dr Dilustro se fait fort de vous communiquer les derniers ouïes-dires concernant Daniel Handler, plus connu à ses heures perdues sous le nom de Lemony Snicket, auteur des Désastreuses Aventures des Orphelins Baudelaire.
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